Tuesday, 6 October 2009

Eclats

Bon, rien de nouveau, une nouvelle écrite en 2007 pour le concours du Crous encore, thème : Tohu Bohu.

Assis en tailleur au milieu de la salle des pas perdus, j’écoute. J’écoute autour de moi. Le vacarme de la gare. Je m’en imprègne. J’ai fermé les yeux. J’entends tout : la rumeur sourde des conversations, le fracas des chariots poussés par les gens pressés, le doux cliquetis des valises tirées par ceux qui ont le temps, les pas, toutes sortes de pas. Maintenant, je sais les reconnaître. Des talons aiguilles, des mocassins, des gens qui courent, des gens qui se traînent, des enfants qui sautillent et même parfois le caoutchouc d’une canne. De temps en temps, un bruit insolite : un rire cristallin qui s’élève, des sanglots qui éclatent, une chute. Et bien sur, au fond, incessant, le tumulte des trains. Coups de freins stridents, emballement assourdissant des machines, voix monocordes des haut-parleurs. Soudain un déclic dans ma poche gauche m’avertit que la cassette de mon dictaphone est arrivée au bout. J’ouvre les yeux, me lève et sors.

Arrivé chez moi je prends sous l’évier une boîte de mou pour mon chat Kodak, la lui sers dans la cuisine et m’achemine vers mon bureau. Je sors de ma poche mon dictaphone, en extrait la cassette et la pose devant moi, sur le sous-main de cuir lisse. Les sourcils froncés, les mains croisées sur mon ventre, adossé à mon fauteuil profond, je cherche un nom convenable pour cette atmosphère sonore récoltée aujourd’hui. Je ne me contenterai pas d’une "ambiance à la gare" ou d’un petit "salle des pas perdus". Je tourne et retourne la question dans ma tête. Kodak a fini son assiette, il profite de ce que j’ai laissé la porte ouverte pour se faufiler à pas feutrés dans mon bureau et venir se lover amoureusement sur mes genoux. Il se met à ronronner si fort que je sens les vibrations dans mon ventre. Il va falloir que je le mette en boîte ce bruit là aussi. Je l’appellerais "Kodak froufroute" ou alors je ferais venir tous les chats du quartier pour faire un énorme concert de ronronnement ! Ponctué de quelques miaulements, feulements et bruissements ! Je l’appellerais "bacchanale féline". Bon, alors, revenons à la gare de ce matin. Je prends mon dictionnaire des synonymes. Il m’aide souvent. Allons à "bruit". Hou, c’est long ! Cherchons en diagonale : Chahut ? Tapage ? Boucan ? Ramdam ? Ramdam ! On croirait entendre le vrombissement des roues d’acier sur les rails ! Ramdam, c’est parfait. Sans déranger mon chat, je prends un crayon noir et note méticuleusement ce mot sur une étiquette blanche que je colle sur la cassette. Je dépose Kodak tranquillement sur le fauteuil et vais ranger Ramdam à côté de Raffut et de Cacophonie, mes enregistrements d’un incendie et d’une école. Tous mes autres enregistrements sont partis. On me les demande pour la télé, le cinéma, la radio… Surtout la radio, là où la bande-son est plus importante que tout. Pas d’image ! Tout est suggéré par le son. Mes sons à moi sont de première qualité. Aucun enregistrement ne m’a jamais déçu dans le sens où ils sont toujours la retranscription de l’ambiance que j’ai moi-même ressentie. Drrring. Le téléphone. Je décroche :

- Allô ?

- Allô, Emilien ?

- Oui ?

- C’est Valérie. T’en es où niveau bruit ?

- Je viens d’enregistrer Ramdam.

- C’est quoi ?

- Devine !

- Heu…du hard rock ?

- Non.

- Une chute ?

- Non.

- Bon, dis-moi, je sèche.

- La gare, salle des pas perdus, conversations, trains…

- Ahun ! Bon, dis-moi, tu fais quelque chose ce soir ?

- Heu…non.

- On est invités à manger chez Colette. Elle est intéressée par Raffut. Il dure combien de temps ?

- Attends, je regarde […] 24 minutes et 8 secondes.

- Super. Tu peux lui prêter ? Elle en a besoin pour "Racontars" la semaine prochaine, elle invite toute une cohorte de pompiers pour les faire parler des incendies de forêts l’été. Elle veut un incendie pour fond sonore.

- Ouais, bien sur ! Tu passes me prendre ?

- Ok, 19h30 chez toi.

- A toute.

Bon, un dîner. Pourquoi pas ? Je ne sais pas qui sera là. On verra bien. C’est parfait pour briser la monotonie de ma vie de vieux garçon. Enfin, je vais me préparer.

21h30, chez Colette, une petite dizaine de convives autour de la table. Après les sujets de conversations banals, la pluie et le beau temps, la bourse, les chevaux, les tracas de la vie mondaine, on en vient à mes travaux.

- Mais, dis-moi, c’est ton métier de collectionner les bruits ?

- Heu, non. En fait j’ai hérité de mes parents et donc je vis très bien sans avoir à bosser… les bruits, c’est plutôt une passion.

- Bon, et alors, Raffut, tu me le prêtes ?

- Bien sur, je te l’ai apporté.

- C’est quoi Raffut ?

- L’enregistrement d’un incendie.

- Tu as enregistré un incendie ?

- Oui.

- Et tu en as combien des bruits ?

- Heu…beaucoup, environ une centaine.

- T’as fait le grouillement des blattes ?

- Oui.

- Et les gargouillis humains ?

- Hum hum.

- Et la mer ? La plage ? La cuisine ? La circulation ?

- Oui, oui j’ai fait tout ça.

- Wahowh !

- Et le silence ?

-

- Est-ce que tu as fait le silence ?

- Ben, non.

- Je te mets au défi. Enregistre-moi le silence et viens me voir. Je te récompenserai grassement. Mais fais attention, ça n’est pas aussi facile que ça en a l’air.

- Soit, je m’en charge. Prépare déjà la monnaie !

Peuh, un enregistrement du silence ! Rien de plus facile. Je vais lui donner une cassette vierge !

- Et pas de cassette vierge ! De toute façon, si tu écoutes bien une cassette vierge, tu entendras toujours quelque chose quand même, des grésillements, des interférences…

Aïe, ça se complique. Bon au travail. D’abord, trouver un endroit silencieux.

- - Fais attention. Je suis du genre pointilleux. Je m’appelle Amos. Voici ma carte. Dès que tu as l’enregistrement, tu m’appelles. Ça marche ?

- Ok.

Voilà enfin quelque chose que j’aime ! Ça va me rebooster un peu cette affaire ! Au boulot. Par quoi commencer ? Ah oui. Un endroit silencieux…De retour chez moi, j’enferme mon dictaphone dans mon placard garde-manger. Cinq minutes et j’écoute la bande. Ah ah ! Ça a l’air de marcher, on n’entend rien du tout ! Ravi, j’appelle Amos.

- - Allô, Amos ? Emilien ! J’ai réussi.

- T’es sur ? T’as écouté le son à pleine puissance ?

- Heu…ben…non.

- Essaie. Et rappelle-moi si c’est vraiment silencieux.

Bon, pleine puissance. Bah, zut, on entend plein de trucs ! Grésillements, crépitements, grincements… ça doit être les céréales, les boîtes de conserves… A refaire ! Je suis du genre battant. Je descends à la cave. Je m’assois sur le sol de terre battue. Le silence semble parfait. Je ferme les yeux. Petit à petit, mon oreille s’affine. J’entends de plus en plus distinctement le pianotement des rats et des souris, l’humidité du sol, le murmure des pierres. Zut, il faut chercher ailleurs. Je colle le micro de mon appareil contre mon ventre pour empêcher toute perturbation extérieure, et j’enregistre un peu… Non, toujours pas, on distingue à pleine puissance le bruit du sang qui bat les veines, le travail des enzymes qui digèrent…Bon, je suis fatigué pour ce soir, je vais me coucher. Tiens, mon sommeil est-il silencieux ? Je laisse mon dictaphone près de mon lit avant de m’endormir.

Le lendemain, à peine mes yeux décollés, je me jette sur mon dictaphone. Oh la la ! C’est pas du tout silencieux ! On entend vraiment ma respiration, le froissement des draps et même Kodak qui vient fureter autour du lit. Du coup, je vais le garder cet enregistrement. Alors, comment vais-je l’appeler ? Heu… Bon, on verra plus tard. Pour l’instant, je me concentre sur le silence. Le petit matin est plein de bruits : petits oiseaux, ronronnement des premières voitures…

Bon, je vais fouiner. A la campagne, trop d’animaux, de pépiements, de craquements, de souffles… En ville, klaxons, éclats de voix, pétarades, brouhaha…

Je commence à douter. Est-ce qu’il existe ce Silence ? Où vais-je le trouver ?

- Allô, Amos ?

- Emilien ?

- Je sèche. Je n’y arrive pas. Aide-moi.

- Abandonne !

- Jamais !

- Bon, concentre-toi. Tu dois toujours te concentrer au maximum pour percevoir les moindres bruits parasites. Tu verras, ton oreille va s’affiner, tu vas entendre le moindre son à des kilomètres. Continue tes prospections, tu finiras par trouver. Et en plus, tu découvriras des endroits inconnus, dont tu ignorais jusqu’alors l’existence. Allez, salut !

Aaah, il a raccroché ! J’en ai marre. Je ne veux pas abandonner. Mais je n’ai plus d’idées… Que faire ? Ne pas désespérer… Qui pourrait m’aider ? Où aller ? Le Silence… Où trouver le Silence ? Il n’y a pas de montagnes dans le coin… Pas de collines, pas de grandes étendues sauvages… A moins que… Mais oui ! La grotte du Bourdil ! Je ne peux rêver mieux ! Silence, me voilà !

Je suis seul assis au milieu de nul part, à quelques pieds sous terre. Je me suis laissé enfermé dans la grotte. Une fois tous les visiteurs partis, les gardiens envolés, l’endroit paraît magique. Tout m’appartient ! Il fait totalement noir. Je n’entends rien. Mais ma concentration n’est pas maximum. J’arrête de bouger. Je ferme les yeux. Je respire à fond. Je sens chaque partie de mon corps comme une entité distincte des autres. Puis, petit à petit, mon corps se met en veille. Tout fonctionne au ralenti. Tout, sauf mes oreilles. Je peux presque les entendre se concentrer. Ça n’est pas désagréable, on se croirait vivre autrement. C’est grisant d’éveiller un de ses sens, ça fait comme une nouvelle perception du monde alentour. Maintenant, j’entends réellement quelque chose. J’en cherche la provenance. On dirait que ça vient de l’intérieur. De mes oreilles, de mon cerveau, de mon crâne. J’entends de plus en plus fort. Ça siffle. Je me concentre encore plus, de plus en plus attentif. Je suis en osmose parfaite avec moi-même. Le sifflement s’intensifie. Il devient strident, désagréable. Il me vrille les tympans. Je commence à avoir mal. Atrocement. J’ai du feu à l’intérieur, comme un fil incandescent, douloureux et assourdissant qui me traverserait la tête de part en part. C’est insupportable. J’ai mal. Mal. Je vais mourir. Je souffre de plus en plus. Le bruit devient de plus en plus aigu. La douleur m’envahit. Elle parcourt mon corps en vagues lancinantes. J’appuie maladroitement mes paumes sur mes oreilles. Je presse à fond. Je crois que ma tête va exploser. Soudain un plop, une détonation silencieuse, un ultime éclat puis plus rien. La douleur reflue par petites touches. Ma tête est lourde. Exténué, je m’affaisse sur le dos. Ankylosé, mon corps refuse de bouger. Je finis par m’endormir.

Une main me secoue l’épaule. Je me réveille. Un homme avec une veste bleue, une casquette bleue, toutes deux estampillées Bourdil me regarde. Mes yeux s’ouvrent avec difficulté. Je me redresse. Mon corps encore courbatu répond laborieusement. Mais il y a autre chose. Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Quelque chose de nouveau. Je me sens plutôt bien. Subitement, les évènements de la nuit me reviennent en mémoire. Je lève les yeux vers le gardien. Il me parle. Je n’entends rien. Rien du tout. Absolument rien. Même si je tends l’oreille. Ses lèvres bougent mais aucun son ne sort. Je souris béatement. J’ai enfin trouvé le Silence. A jamais.

3 comments:

Burgerjoke said...

Tiens c'est marrant, je me souvenais de cette nouvelle (que j'avais beaucoup aimée lorsque tu l'avais postée sur fenx) mais je me souvenais pas que le personnage portait mon prénom. Le pire c'est que je connais depuis quelques semaines une personne et une seule qui porte le prénom Amos, c'est le directeur de mon Master actuel :)
Sinon, quelques problèmes de mise en page, des alinéas négatifs (le début de la ligne n'apparaît pas) ou très larges en positif (alors que tous les paragraphes n'ont pas cet alinéa)
Et puis au niveau du contenu, je trouve ça bizarre qu'Emilien ait l'air de découvrir le monde du son grâce à Amos, alors qu'il est présenté au début comme un grand connaisseur.
Et je crois avoir déjà émis ce doute à l'époque sur fenx, mais je pense pas qu'une grotte soit plus silencieuse qu'un placard ou qu'une cave : il y a la roche qui respire, l'eau qui goutte, et plein d'animaux qui vivent là-fdedans et baisent toute la nuit.
Mais dans l'ensemble c'est quand même vachement cool. Ma préférée des nouvelles que j'ai lues de toi.

Wee newmee said...

Ah oui ? Ben moi c'est pas du tout celle que je préfère, loin de là, en la relisant je la trouvait pas bien. Bref.

Yob said...

C'est vrai que, comme Burgerglob, j'ai eu une petite interrogation sur le faite qu'Emilien ai l'air de "découvrir" certains sons (alors qu'il en a (n'en à seulement ?) une centaines), mais sans trop m'attarder, celà ne me dérange pas trop :)
C'est aussi vrai que le chois des lieux sont un peux maladroits de sa part, j'aurais été dans un studio d'enregistrement, dans les salles entièrement tapissée de mousse insonore...
Et la fin me laisse, bin, sur ma faim, je trouve que ça tombe à plat... arff, désolé si je vexe, ce n'est que mon avis et c'est tout, seul l'avis de l'auteur compte ;^)