Nouvelle écrite en 2008 pour un concours sur le thème "rouge"
La lame épaisse et acérée s’abat mécaniquement sur le cou. Malgré sa force, Sémion n’a pas réussi à le trancher tout à fait. Le sang, pas encore tout à fait refroidi jaillit et lui éclabousse le visage. Il peste, lâche tout, se précipite vers sa serviette pour essuyer ce liquide nauséabond qui dégouline le long des ses joues. Sémion relève le bras et la lame s’abat à nouveau. Il ne reste plus qu’un bout d’os qui relie la tête au corps. Agacé, Sémion tire dessus et elle se détache dans un craquement écœurant. Satisfait, il repousse le reste dans un coin, pour plus tard, et place la tête au centre. Ses mains sont déjà toutes rouges et il sait par avance qu’il aura autant de mal à enlever ces taches que celles de la veille.
La lame épaisse et acérée s’abat mécaniquement sur le cou. Malgré sa force, Sémion n’a pas réussi à le trancher tout à fait. Le sang, pas encore tout à fait refroidi jaillit et lui éclabousse le visage. Il peste, lâche tout, se précipite vers sa serviette pour essuyer ce liquide nauséabond qui dégouline le long des ses joues. Sémion relève le bras et la lame s’abat à nouveau. Il ne reste plus qu’un bout d’os qui relie la tête au corps. Agacé, Sémion tire dessus et elle se détache dans un craquement écœurant. Satisfait, il repousse le reste dans un coin, pour plus tard, et place la tête au centre. Ses mains sont déjà toutes rouges et il sait par avance qu’il aura autant de mal à enlever ces taches que celles de la veille.
Tout d’abord, il découpe la langue et la réserve dans un récipient, à l’écart. Puis, il détache les yeux des orbites, coupe le nerf optique et jette les globes dans une autre boîte, étiquetée « déchets », où viendront tout à l’heure s’échouer la vessie et les poumons. Il commence à arracher les dents une par une avec une grosse pince et les jette avec les yeux. Puis, il coupe les gencives qu’il dépose à côté de la langue. Avec un couteau très effilé, il entaille la peau entre les deux oreilles. Il l’écarte pour mettre à nu la boîte crânienne. Il saisit une petite scie et entreprend de découper l’os. Là encore, le sang lui glisse sur les mains, petit sillon vermeil qui vient imprégner la table de travail. Une fois sa besogne achevée, il ôte la cervelle. Ensuite il détache les oreilles en coupant tout autour et enlève la peau. Puis, il s’attaque au reste de la tête en commençant par les joues. Après avoir bien raclé le moindre muscle, il jette le reste dans les déchets. Vient enfin le reste du corps. Il coupe le sternum avec des cisailles et écarte les côtes. Il les détaille en tranches bien épaisses. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une carcasse, un monceau de déchets et plusieurs morceaux bien découpés. Sémion emballe soigneusement la viande dans du papier marron, qui s’humidifie en fonçant légèrement.
La porte s’ouvre et un homme passe la tête dans l’entrebâillement.
- Sioma, tu as terminé ?
- Priviet Petia ! Oui, à l’instant…
- C’est bon tu peux y aller, je m’occupe de la suite.
- Spasiva… bonsoir.
Sémion quitte l’abattoir où il a du débiter une bonne demi-douzaine de bœufs aujourd’hui et rentre chez lu, alors que Piotr se dirige vers la chambre froide pour y entreposer la viande de Sémion.
Krarmia, la femme de Sémion est déjà à la maison. Sa journée de professeur de russe s’achève avant celle de son boucher préféré. Aujourd’hui, elle a disséqué un poème de Maïakovski avec ses élèves. Elle récite quelques vers à Sémion :
« Longeant le front des compartiments et cabines,
Un fonctionnaire bien poli s’avance.
Chacun tend son passeport, et moi je donne
Mon petit carnet écarlate.
Soudain, comme léchée par le feu,
La bouche du monsieur se tord.
Monsieur le fonctionnaire
A touché le pourpre de mon passeport. »
Alors, leur jeu favori commence, chacun teste les connaissances de l’autre. C’est un jeu qui peut durer des heures... Sémion récite des vers en mettant la main sur son cœur, plein d’emphase :
« La veste rouge du forçat est taillée dans la robe rouge du juge. »
- Facile ! C’est Victor Hugo… dans «Quatre-vingts treize»… Non ?
- Oui… allez, plus dur :
« Rouge comme un sabord
La plaie est sur le bord
Comme la gencive bavant
D'une vieille qui rit sans dent
La plaie est sur le bord
Rouge comme un sabord
Je vois des cercles d'or
Le soleil blanc me mord
J'ai deux trous percés par un fer
Rougi dans la forge d'enfer
Je vois un cercle d'or
Le feu d'en haut me mord. »
- Heu… Tristan Corbière ?
- Ahein ! Quel bouquin ?
- Je sais pas… non, dis moi ?
- Les Amours Jaunes.
- A moi :
« Etre rouge ce soir, blanc demain, ma foi non… »
- Musset, Sonnet au lecteur !
- Bien joué ! Tu es très calé en littérature française !
Sémion la serre dans ses bras et lui susurre à l’oreille : « Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore ; Il n'est pas une fibre en tout mon corps tremblant Qui ne crie : Ô ma chère Krarmia, je t'adore ! ». Elle rit et lui répond du même ton :
- Je refuse, il est interdit de détourner Baudelaire…
- Certes, mais comme lui je suis possédé !
- Pff, grand fou, va…
Krarmia regarde Sémion dormir. Ça ne lui arrive que très rarement. D’habitude, quand elle se réveille, il est déjà debout ou alors c’est lui qui la regarde dormir quand elle s’est assoupie dans ses bras… Elle est frappée de voir combien les hommes peuvent paraitre apaisés quand ils dorment, elle a l’impression que rien ne pourrait les déranger, que rien ne pourrait venir troubler ce moment unique où elle sent son mari, son petit tas de muscle, comme elle l’appelle, complètement détendu contre son flanc, presque à sa merci. Elle lui caresse les cheveux et lui baise le front en pensant avec un vertige à tout ce qu’elle pourrait faire sans qu’il le sache.
- Heu… Tristan Corbière ?
- Ahein ! Quel bouquin ?
- Je sais pas… non, dis moi ?
- Les Amours Jaunes.
- A moi :
« Etre rouge ce soir, blanc demain, ma foi non… »
- Musset, Sonnet au lecteur !
- Bien joué ! Tu es très calé en littérature française !
Sémion la serre dans ses bras et lui susurre à l’oreille : « Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore ; Il n'est pas une fibre en tout mon corps tremblant Qui ne crie : Ô ma chère Krarmia, je t'adore ! ». Elle rit et lui répond du même ton :
- Je refuse, il est interdit de détourner Baudelaire…
- Certes, mais comme lui je suis possédé !
- Pff, grand fou, va…
Krarmia regarde Sémion dormir. Ça ne lui arrive que très rarement. D’habitude, quand elle se réveille, il est déjà debout ou alors c’est lui qui la regarde dormir quand elle s’est assoupie dans ses bras… Elle est frappée de voir combien les hommes peuvent paraitre apaisés quand ils dorment, elle a l’impression que rien ne pourrait les déranger, que rien ne pourrait venir troubler ce moment unique où elle sent son mari, son petit tas de muscle, comme elle l’appelle, complètement détendu contre son flanc, presque à sa merci. Elle lui caresse les cheveux et lui baise le front en pensant avec un vertige à tout ce qu’elle pourrait faire sans qu’il le sache.
Le réveil vient tout gâcher et sonne. Sémion remue doucement et entrouvre les yeux. Il s’étire en réprimant un bâillement
- Bonjour ? Déjà réveillée ?
- Moui… ça va ?
- Ça va…
Après le petit déjeuner, une autre journée de travail s’annonce, poésie pour Krarmia et viande rouge pour Sémion. Mais une surprise l’attend à l’abattoir. Un jeune homme est appuyé à son plan de travail. Quand il le voit, il s’approche de lui :
- Dobrï dien camarade, je m’appelle Kid, je…
- Qu’est ce que tu fais ici ?
- Je dois apprendre ce métier… je… vous devez me former…
- Pourquoi moi ? On est des dizaines ici, et il y en a des meilleurs que moi…
- On m’a dit que vous étiez le meilleur, camarade, le plus fort…
- C’est bon, inutile de me flatter… attends moi là, je reviens…
Sémion se dirige vers le fond de l’atelier, vers le bureau de Piotr, le contremaitre.
- C’est quoi cette histoire, je dois m’occuper des mômes maintenant ?
- Sioma, c’est juste pour cette fois, je sais que tu n’aimes pas ça mais tous les autres gars sont pris et il est très doué ce gamin, tu verras… allez… ce n’est que pour quelques semaines… il part à Moscou dans un mois de toutes façons…
- Bon, mais c’est la dernière fois hein ? Je déteste avoir quelqu’un dans mon dos quand je travaille…
Sémion retourne à sa table de travail et entreprend d’expliquer au jeune homme comment s’occuper des bœufs d’une manière propre tout en faisant le moins de déchets possible. Au début, Kid est très intimidé et reste en retrait, bougeant le moins possible. Puis, Sémion se détend, et tend son couteau pour que Kid sente par lui-même les tendons roulants sous les muscles, les endroits où il faut ou ne faut pas couper. Il lui apprend à soupeser les morceaux de viande, il lui montre comment reconnaitre une viande gâtée d’une viande saine. Il lui enseigne toutes les ficelles du métier. A la fin de la journée, Kid a dépecé son premier bœuf tout entier, sous l’œil vigilant de Sémion qui n’est presque pas intervenu. Tous deux sont rouges de la tête aux pieds.
- Tu te débrouilles bien gamin, on va peut-être pouvoir faire quelque chose de toi…
- Vous croyez camarade ?
- Arrête de m’appeler camarade tout le temps… On verra demain si tu as encore le coup de main…
- Vous allez rentrer chez vous là ?
- Ben oui…pourquoi ?
- Vous êtes marié ?
- Oui… mais qu’est ce que ça peut te faire ?
- Non, rien excusez-moi camarade… excusez moi… à demain…
- A demain !
Après deux semaines de travail commun, Sémion et Kid s’entendent plutôt bien. Kid est déjà venu une fois prendre un verre chez Sémion et Krarmia. Il sait maintenant qu’ils sont mariés depuis 8 ans, qu’ils n’ont pas d’enfants mais ne désespèrent pas d’en avoir un jour et qu’ils adorent tous les deux la poésie. De Kid, Sémion sait peu de choses, sinon qu’il a 17 ans, que ses parents sont à Moscou et qu’il va les rejoindre dès qu’il « aura un vrai métier ». De toute façon, Sémion n’est pas homme à poser des questions.
************
Ce soir là, Sémion a déniché du vin français et Krarmia et lui sont plongés dans la lecture d’un recueil de poésie américaine, qu’elle a ramené d’un voyage là-bas quelques années plus tôt… le feu brûle dans la cheminée, baignant le salon dans une douce lumière orangée. Krarmia se moque gentiment de l’accent chantant de Sémion. Il lui mordille l’oreille en signe de représailles. Soudain, trois coups sourds retentissent à la porte. Et sans prendre la peine d’attendre quoi que ce soit, trois hommes rentrent en poussant devant eux un Kid livide et tremblant. Ils sont bottés, portent casquette et gants rouges et le plus grand d’entre eux, qui reste près de la porte, a une arme à la main. Ils ont tous l’insigne du gouvernement au revers de leur manteau, y compris Kid qui n’en mène pas large. Celui qui semble être le chef prend la parole :
- Du vin français ? De la poésie américaine ? Je vois qu’on ne se refuse rien… Kid, tu n’avais pas menti… nous voila en présence de deux beaux vendus…
Kid jette un regard ahuri à Sémion et tremble de plus belle. L’homme reprend :
- Allons, tu devrais être fier d’avoir un moyen d’être utile à ton pays ! Et te voila tout flageolant, reprend toi !
- Laissez le – coupe Sémion, Dieu sait de quoi vous l’avez menacé…
- Si j’étais toi je me tairais Sioma, il peut t’arriver n’importe quoi… pense à ta femme…
- Je n’ai rien à me reprocher !
- On trouvera, ne t’inquiète pas, on trouvera… allez, on te laisse jusqu’à demain dans notre grande clémence.
Ils sortent tous, sauf Kid. On les entend rire dans la rue et frapper à la maison voisine. Sémion sait qu’il ne risque rien, que ces gens du gouvernement ne sont là que pour leur faire peur. Kid reste là, penaud, pâle, les bras ballants. Sémion s’apprête à le jeter dehors quand le jeune homme hurle : « Ils avaient mes parents ! » avant de sortir un couteau effilé de sa poche et de se trancher la gorge. Le sang gicle et éclabousse le mur. Kid s’effondre sur le tapis. Krarmia crie. Sémion la prend dans ses bras et lui cache les yeux. Elle sanglote et le bruit de ses pleurs se confond avec les borborygmes sordides que pousse le cadavre. Une mare noire imbibe le tapis. Mécaniquement, Sémion soulève Krarmia et la porte dans la chambre. Il ferme la porte à clef. Puis, il redescend et, tel un automate, soulève le corps et l’emmène dans la cabane au fond du jardin. Il débarrasse la table des outils qui l’encombrent et dépose Kid dessus. Avec un gros couteau, finit de découper le cou. Le sang, pas encore tout à fait refroidi jaillit de la carotide et lui éclabousse le visage. Il peste, lâche tout, se précipite vers sa serviette pour essuyer ce liquide nauséabond qui dégouline le long des ses joues. Il détache la langue, sort les yeux des orbites, coupe le nerf optique et jette les globes dans une boîte. Il commence à arracher les dents une par une avec une grosse pince et les lance avec les yeux. Puis, il coupe les gencives qu’il dépose à côté de la langue. Avec un couteau très effilé, il entaille la peau entre les deux oreilles. Il l’écarte pour mettre à nu la boîte crânienne. Il saisit une petite scie et entreprend de découper l’os. Là encore, le sang lui glisse sur les mains en ne laissant qu’un petit sillon vermeil puis vient imprégner la table de travail. Une fois sa besogne achevée, il ôte la cervelle. Vient enfin le reste du corps. Il coupe le sternum avec des cisailles et écarte les côtes. Il les débite en tranches bien épaisses. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une carcasse et plusieurs morceaux bien découpés. Il emballe soigneusement la viande dans du papier marron, qui s’humidifie à son contact en fonçant légèrement.
Sémion sort de chez lui, et court jusqu’à l’abattoir. Il évite la surveillance passive des veilleurs à l’entrée et se rend dans les chambres froides, là où sont conservés les morceaux en partance pour les magasins. Il entrepose ses paquets dans les étagères. Puis, il se rend derrière le bâtiment et jette dans la fosse tous les déchets : dents, yeux, poumons, mains, pieds… qui se mêlent aux déchets bovins en décomposition.
Lexique :
(Les mots en italique sont en langue russe)
Priviet : salut.
Sioma : diminutif de Sémion.
Petia : diminutif de Piotr.
Spasiva : merci.
Krarmia : prénom féminin donné à la révolution russe tiré de Krasnaïa Armia « Armée Rouge ».
Dobrï dien : bonjour.
Kid : prénom masculin donné à la révolution russe tiré de Komounisticheskii Ideal « L’Idéal Communiste ».
1 comment:
Heyhey =^D
Super nouvelle ma fois !
Je me retrouve dans le thème du début à la fin (que se soit de l'utilisation basique du sang à l'ambiance du communisme russe, enfin, en tout cas, je le perçois comme ça ^^')...
Un très grand bravo ! ;^)
J'aime aussi le lexique qui fait très pro ! :)
Bien que, pour ma part, je me serais arrêté à l'avant dernier paragraphe pour faire une boucle sans fin avec le début, cette partie oùu tu a bien dû te "décarcassée" pour autants de détails "vifs", mais extèmement appreciables ;)
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