Friday 18 September 2009

La si la sol fa mi

- Maman ! Mamaaan !
- Vas-y, pleure ! Elle est pas là ta mère !
- Maman…


Il fait noir. Très noir, aucune étoile ne brille ce soir. J’ai froid, un peu. Il fait trop froid pour une nuit du mois d’aout. Je frissonne. Mais c’est pas que le froid. C’est à cause des grands. De Kyle surtout. C’est le chef. Tout le monde a peur de lui. Pas moi. Moi j’ai peur de rien. C’est Papa qui le dit : « Mon grand, toi, tu n’auras jamais peur de rien, tu es costaud, tu tiens ça de ton père. » Alors moi, je me laisse pas faire. Quand Kyle a fait un croche-patte à Tom, moi je lui ai sauté dessus. Il est tombé. Et j’ai commencé à le cogner. Sauf qu’Antoine et le dirlo m’avaient vu. J’ai eu droit au sermon. Pas fort parce qu’ils savent bien que Kyle c’est un dur…


Je me réveille en sursaut. J’essaye d’ouvrir les yeux mais il continue à faire noir. J’essaye de bouger mais c’est pas possible. J’essaye de crier mais je ne peux pas ouvrir la bouche. C’est la panique. Je suis mort ? Et puis je respire à fond. Je suis vivant. Je peux sentir les mouvements. Il y a quelqu’un qui me porte. Ça chante : « En colonie d’vacances, la si, la sol, en colonie d’vacances la si la sol fa mi… ». Quand ils voient que je suis réveillé, ils me posent par terre. Ils enlèvent le chiffon que j’ai dans la bouche. Je crie un grand coup. Je reçois un coup dans le ventre. Je roule en boule. Par terre, il y a plein de feuilles mortes, ça sent l’humidité. Je vais me faire engueuler parce qu’il y aura des taches sur mes habits. Quelqu’un détache mes mains et enlève le bandeau sur mes yeux. C’est comme ça que je comprends. Les grands, Kyle, une vengeance. Ils attachent mes mains à un arbre. Ils rigolent.


- Maman ! Mamaaan !
- Vas-y, pleure ! Elle est pas là ta mère !
- Maman…
- Ta gueule ! Ferme-la. Ça te plait de faire le grand ? De te la péter ? T’es qu’un petit merdeux, tu comprends ? Une… une minuscule crotte de poulet ok ? … dis-le.
- …
(baffe)
- Dis-le !
- Je…
(rebaffe)
- DIS-LE !
- Je suis une crotte de poulet.
- Une MINUSCULE crotte de poulet, s’il te plait.
- … une minuscule crotte de poulet.
- Ben voilà ! Tu vois quand tu veux !
- Laissez-moi partir, je veux rentrer…
- Tssss, parce que tu te plais à la colo ? Me fais pas croire ça…
- …
- Bon, les gars, il se fait tard, faudrait pas qu’on se fasse choper, hein ?
Et ils s’en vont.
- RELACHEZ-MOI !!

J’entends des rires au loin qui s’en vont en courant.

N’empêche que maintenant j’ai peur. Je suis tout seul au milieu de la nuit au milieu de nulle part. Ligoté à un arbre. Je crois que je ne suis pas encore assez fort, Papa. J’ai peur. Il y a un bruit à droite, derrière le buisson là bas. Et un autre dans l’arbre au dessus de ma tête. Il y a un picotement dans mes mains. Et quelque chose me frôle la jambe. C’est atroce, je vais mourir, là tout seul, et mes parents ne sauront jamais. Je vais me faire manger par des bêtes sauvages. Ou des fourmis rouges. J’en ai vu à la télé. C’est dégueu. Ça bouffe tout ! Il reste plus que les os tout blancs après. Et après elles vont s’attaquer à autre chose. Bleeeuh…
Il fait de plus en plus froid. Je crois que j’ai mouillé mon pyjama. La honte ! Je ne peux pas rentrer à la colo comme ça ! De toute façon j’ai les mains attaché à un arbre, je ne peux pas rentrer à la colo du tout. Je crie encore une fois.

- Mamaaaaaaaaaaan !


Tout près un grand bruit dans les buissons, comme si un animal qui attendait avait eu peur de mon cri. Et si j’avais pas crié ? Est-ce qu’il serait venu me manger ? C’était quoi ? Un sanglier ? Un renard ? Un loup ? Il faut que je me sorte d’ici…


J’essaie de me mettre debout. C’est difficile sans les mains. J’arrive quand même à me redresser. A me mettre à genoux. J’égratigne mes mains contre l’écorce de l’arbre. Peut-être que ça peut couper la corde ? Je frotte mes poignets longtemps contre le tronc. Ça fait super mal. Je suis sûr que j’ai les mains en sang… ça va faire venir les fourmis rouges. Mais rien ne se passe avec la corde… elle ne bouge pas du tout. Ils savent bien faire les nœuds les grands.


J’ai mal aux genoux. Il faut que j’étende mes jambes. Je me rassois. Et là, alors que je remue les feuilles mortes, il y a quelque chose qui brille par terre. Avec ma jambe, j’essaie de le rapprocher de mes fesses, de mes mains. En tournant autour de l’arbre, j’arrive à l’attraper. Je crois que c’est un bout de verre. Mon Papa dit toujours de ne pas toucher aux morceaux de verre parce que ça coupe. Mais là, j’ai besoin de quelque chose qui coupe. J’essaie de trouver l’endroit où ça coupe le plus et de le frotter contre la corde. Ça marche ! Petit à petit la corde se détend. Et je peux enfin me lever. J’ai la tête qui tourne. Je ne sais pas vers où aller. A droite ? A gauche ? Bon, trou-trou, une vache qui pisse dans un tonneau c’est rigolo mais c’est salaud, mais si la reine et le roi ne veulent pas j’irai par là. Je vais à gauche. Non, à droite. Fin du côté où je suce mon pouce en tout cas… je marche longtemps. J’ai mal aux mains.


Tout à coup, j’entends des bruits de voitures. Je suis près d’une route. Je cours, il faut que je trouve quelqu’un. Ou alors, la route va dans une ville, et là c’est facile. Sur la route, il y a plein de voitures. On ne voit pas qui conduit. On dirait que c’est des robots-voitures qui roulent toutes seules. Je marche vers là où elles vont. Il y a une autre petite route qui part avec un panneau. M - a et i ça fait è, s entre deux voyelles ça fait z, « mèz », o et n ça fait on… «mèzon » Maison. Des ça je connais Maison des …, gl, i-grec c’est comme un i, gli, c devant un i ça fait s, glissi, n-e et s à la fin qu’on entend pas, glissines. Maison des Glycines. Hé mais c’est la colo ça ! Et il y a écrit 0,800 km à côté. Je ne sais pas ce que ça veut dire. En tout cas je vais par là. Je marche longtemps. Tout à coup je reconnais où je suis. C’est la colo. Il y a le champ de Galipette. Galipette c’est un âne. C’est moi qui lui a brossé le poil cet après midi. Il ne dort pas, il vient me voir. Je lève la main bien haut à cause des fils électriques et je le caresse juste au dessus du nez, là où c’est tout doux. Galipette sourit.


- Romain ! Mais qu’est ce que tu fais là ?
C’est Antoine, le mono des grands. Il essaie de cacher la cigarette qu’il a dans les mains. Mais moi je l’ai vue… il a l’ai très fâché. Il me prend la main.
- Aïïïïïïe !
- Mais qu’est ce qui t’arrive Romain ?
- C’est… je… Bouh…
Je me mets à pleurer. Comme un bébé. Comme une fille. J’espère qu’il le dira pas au dirlo. Ou à Papa. Antoine m’emmène vers la maison où on dort. A la lumière, on voit tous les deux que j’ai plein de sang sur les mains, à cause des égratignures aux poignets. Et il y a toujours les bouts de cordes qui pendent.
- Romain… raconte-moi ce qui s’est passé…
- Je… je p..p..peux p..pas… ils… ils vont me co…tap…per.
- Qui ?
- Ky… quelqu’un.
- Romain. Est-ce que quelqu’un t’a attaché quelque part ?
Je fais oui de la tête.
- A un arbre.
- Et on t’a laissé là ? Comment tu es rentré ?
- Y’avait un bout de verre par terre, j’ai coupé la corde. Après j’ai couru, y’avait la route et puis la pancarte vers la colo. Pis j’ai vu Galipette.
- Mais c’était qui ? Je le connais ?
- Oui, mais y’en avait plusieurs.
- Je les connais bien, ils sont dans mon groupe ?
Je fais encore oui de la tête.
- C’est Kyle et sa bande ?
Je ne réponds pas.
- … Bon, viens Romain, on va nettoyer tout ça et on va retourner au lit, ok ?
- Mmmmmh.


Antoine m’entraine vers l’infirmerie. Il prend son téléphone et il appelle Anna, le docteur de la colo. Quand elle arrive elle coupe les cordes avec des ciseaux et elle met du produit sur mes poignets. Ça pique presque pas. Pis après elle met des pansements. Ceux avec un lion dessus. Elle en avait mis un avec un rhinocéros quand j’étais tombé de vélo. Elle me demande pas ce qui s’est passé. Elle me donne juste un bonbon. Antoine me dit que demain il faudra que je raconte. Parce c’est grave quand même. Que peut être la police va venir. Mais que pour l’instant il faut dormir. Il me raccompagne dans ma chambre. Tom et Nicolas sont même pas réveillés. Antoine m’aide à changer de pyjama, je me mets au lit. Je lui dis « Pars pas ! » alors il s’assit à côté de mon lit, commence à chanter la chanson qui demande qui peut faire du bateau quand y’a pas de vent et il attend que je m’endorme.

Le lendemain quand je me réveille, Tom et Nicolas sont déjà partis au petit dej’. D’habitude on s’attend. Quand je sors dans le couloir, il y a Annabelle, l’animatrice des petits qui est assise près de ma porte.


- Je t’attendais ! On t’a laissé dormir un peu plus ce matin. Les autres sont déjà en activité. Ça va ?
- Oui.
- Allez, viens. On va manger.
Dans la salle à manger, tout est rassemblé sur une seule table. Je m’installe et Janine, la dame de cantine entre et me sert un grand bol de chocolat avec un petit sourire. Annabelle me fait mes tartines. D’habitude ils veulent toujours qu’on les fasse nous-mêmes. Pour une fois y’aura du beurre et de la confiture partout. Et puis il restera peut-être du miel ! D’habitude les grands mangent tout le miel. Annabelle dit à Janine que je suis réveillé et qu’il faut prévenir Alban, le directeur. Quand j’ai fini mon petit déjeuner, il arrive et m’emmène pour m’habiller. Il me dit qu’il a parlé à Kyle et ses copains, qu’ils ont avoué. Ils vont partir de la colo. Cet après-midi, leurs parents vont venir les chercher. Il dit aussi qu’il a appelé mes parents et que je peux les rappeler maintenant que je suis réveillé. Je dis oui. Il me sourit. Il dit que je suis très courageux. Il m’emmène dans son bureau pour téléphoner. C’est papa qui décroche.


- Allo ?
- Papa.
- Romain ! Christine, c’est Romain ! Comment ça va mon cœur ?
- Je… ça va.
- …
- Papa ?
- Oui ?
- J’ai pleuré.
- Hein ?
- J’ai pleuré, j’avais peur. Je suis pas costaud.
- Mais… bien sur que si tu es costaud ! Tu as pleuré… mais c’est normal…tu veux que je te dise ? Quand Alban nous a appelés ce matin, moi aussi j’ai eu peur. Moi aussi j’ai pleuré.
- C’est vrai ?
- Bien sur.
- Alors t’es pas déçu ?
- Déçu ? Haha, non mon grand, non. Je suis soulagé, je suis content, je suis même fier de toi.
- …
- Romain ? On voulait savoir avec Maman, est ce que tu veux rester à la colo ou est-ce que tu veux rentrer à la maison ?
- Heu…
- Tu sais quoi que tu décides on est toujours fiers de toi et on t’aime très fort.
- D’accord. Moi aussi. Je veux rester.
- Tu es sûr ?
- Oui.
- Très bien. Alors va t’amuser. On t’embrasse tous les deux. Et Aglaïa aussi. Tu peux me passer le directeur ?
- Oui, bisous !



- Mr Lenoir ? Je voulais savoir ce qui allait se passer pour Romain maintenant. Doit-on contacter la police ?
- Cette décision vous appartient Monsieur Chavent. Pour notre part comme je vous l’ai dit tout à l’heure les agresseurs de Romain ont été exclus du centre. En cas de poursuites judiciaires, nous sommes bien entendus derrière vous. Ce que je vous conseille de faire c’est d’aller voir un avocat, il pourra sans doute vous aider plus que moi.
- D’accord. Merci beaucoup. Et… prenez soin de Romain.
- Naturellement. Au revoir.
- Au revoir.

Après le coup de téléphone à Papa, je vais retrouver les autres. Ils font une thèque dehors. J’adore ce jeu ! Je cours me mettre dans l’équipe de Tom. Annabelle me dessine un rond jaune sur la joue avec du maquillage. Quand c’est mon tour, je tape dans la balle comme si c’était la tête de Kyle. Elle s’en va tout au bout du terrain. Si loin que j’ai le temps de faire le tour en une seule fois. Deux points de plus pour mon équipe ! A la fin, c’est nous qui gagnons le jeu.




1 comment:

Yob said...

J'aime bien cette nouvelle, bien que "simple" (à mon goût ^^'') elle se laisse lire avec plaisir ;^)