Saturday 20 February 2010

Le Bloc I, Chapitre 2

Chapitre 2

Evidemment mes parents ont appelé, évidemment on ça s’est passé comme j’avais prévu, évidemment on s’est engueulés. Tant pis. Dans un mois j’aurais plus d’argent alors pour l’instant j’épluche les journaux. Mais je ne trouve vraiment rien, ça commence à m’énerver… Heureusement que June est là, elle essaye de me faire rire :

- On n’a qu’à s’installer ensemble, je t’entretiendrai !

En plus, j’ai vraiment du mal à lire les petites annonces. C’est tout en abrégé ! Je capte rien :

« ch.srv.exp.4h/sm.s’adss6ru Mouftard le Grelot»02419544440 »

« chrch.trnr/frsr.exp.shté.cdi.4bdbalrt.hrs.d.rps. »

Vous y comprenez quelque chose vous ? Hein ? Dites moi que non parce que sinon…ça voudrait dire pas mal de chose… peut-être que je devrais reprendre mes cachets ?

Non, là je recommence à être parano…je vais sortir un peu, je ne suis pas sorti depuis l’autre jour, celui de l’entretien. Ça fait déjà 15 jours ! J’ai pas quitté mon appart, June m’apportait tout ce qu’il me fallait et restait toujours manger avec moi… je crois que j’avais un peu peur…oui, peur que ça se reproduise. Ça m’angoisse tellement d’échapper à des moments de ma vie. C’est comme quand j’étais petit, lors d’une hospitalisation on m’avait fait un anesthésie générale. Brrr, c’est horrible de ne plus se rappeler de rien, un trou noir de quelques heures…ça m’a fait exactement cet effet là l’autre jour… du coup, j’imagine plein de choses, toutes plus atroces les unes que les autres… je veux savoir !

Bon, je sors prudemment et je me pose au milieu du parc St Gravier. Je regarde attentivement autour de moi. Du coup, je prête beaucoup plus d’attention aux gens. La plupart ont l’air indifférent, pressé, urbains quoi…mais il y en a un qui a l’air franchement grincheux, il fait la gueule… il est tout seul sur un banc et il jette rageusement du pain au pigeons. Pourquoi un tel état d’esprit (du moins apparemment) ? Je crois que je vais essayer de lui parler…

- Bonjour monsieur excusez-moi. Je me promène depuis quelques instants et j’ai remarqué que vous avez l’air particulièrement…fâché.

- Et alors ? Qu’est ce que ça peut vous foutre ?

- C’est que j’ai vécu une expérience assez étrange et j’ai dans l’idée que vous pourriez m’aider à comprendre ce qui m’est arrivé…

- Je vois pas en quoi je peux vous aider… mais bon, racontez toujours…

- Ben…je me suis pris un mur invisible en pleine face, je me suis évanoui et réveillé deux heures plus tard…et puis après je me suis pris une espèce de coup de poing dans le ventre…

- Vous êtes un peu fou non ? Vous avez parlé de ça à quelqu’un ? On a dû vous prendre pour un demeuré…

- Mmh, ma copine était avec moi quand le deuxième évènement s’est produit, elle, elle me croit. Expliquez moi au moins pourquoi vous êtes si consterné…

- Mais ça pourrait très bien ne pas vous regarder ! Bon, ça n’est pas le cas alors soit, je vais vous dire… vous ne serez sans doute pas satisfait après mais bon… voila : j’ai acquis la certitude que ni Dieu ni Diable n’existent et que la mort est la fin de tout, le néant total, une absence absolue de quoi que ce soit…et ça me déprime. Voila. Vous êtes content ? Je peux y aller maintenant ?

- Heu…oui, bien sur, je vous remercie…

Mais qu’est ce que ça veut dire ? Acquérir une certitude à propos de Dieu ou Satan ? Comment est-ce possible ? Je n’y comprends rien… je me suis effondré sur un banc, totalement abattu. Rien ne va jamais m’aider à comprendre… Il faut que j’arrête de penser à ce moment là, ça me pourrit l’existence…penser à autre chose, penser à autre chose…tiens, y’a un petit bonhomme qui fait de la trottinette, ça me rappelle que moi aussi j’en avais une, petit, c’est d’ailleurs à cause d’elle que j’ai du subir cette anesthésie générale…non ! Voila que j’y repense encore…ça suffit. Je crois que je vais aller à la bibliothèque pour me trouver un bon gros pavé, ça m’empêchera de cogiter.

J’ai déniché un très très gros pavé : « le Varan » de Pavel Andreïevitch. L’histoire est plaisante et ce que j’adore c’est que je peux vraiment plonger dedans sans plus penser à rien. C’est ce que je fais dès que je rentre chez moi, allongé sur mon lit. Ça se passe en Pologne. C’est drôle, ça donne des envies de voyages. Et après tout, si je partais en vacances ? Pas loin, pas longtemps, juste une petite pause quoi…pourquoi pas ? Mais alors où ? Au soleil, ça c’est sûr.

Allez, je prends un billet de train pour le Sud, je file à la gare… ah et il faut aussi que j’appelle June…elle pourra probablement pas venir…je lui écrirai tous les jours…ça va être bien.

***

14 mai.

Mon ange,

Ça me fait bizarre d’être tout seul sans toi…tu me manques beaucoup. J’espère avoir bientôt des nouvelles de toi.

Ça fait deux jours que je suis arrivé et je sens déjà la différence. Je me pose beaucoup moins de questions et même si j’ai amené mes cachets au cas où, je n’en ai pas pris un seul. Les gens ici ont tous la tête des vacanciers ravis…

Il fait très beau, j’ai bronzé un peu…je me baigne, je paresse sur la plage (j’ai emmené des tonnes de bouquins) et le soir, il y a des soirées organisées. Hier c’était karaoké (j’ai pas trop aimé) et ce soir c’est fête traditionnelle avec feu de camp sur la plage… j’ai hâte d’y être.

Et toi comment vas-tu ? Est-ce que tu penses à moi parfois ? Je ne te remercierais jamais assez de m’avoir prêté de l’argent pour venir ici, dès mon retour je trouve quelque chose, promis…

Je t’embrasse très fort, je pense à toi. A bientôt.

LUDWIG VAN

***

18 mai.

Ô toi,

Voila, je pars demain. Tu viendras me chercher à la gare ? J’espère que oui. J’ai une envie folle de te serrer dans mes bras. Je ne pense plus du tout à ces évènements bizarres (mais tu en parles tu vas me dire…) en tout cas ils ne me hantent plus comme avant…je ne pense qu’à toi. J’ai bien profité de mes vacances mais là, toutes mes pensées se tournent vers toi, j’ai tellement hâte de te voir, te toucher, te sentir…

Ah, et il faudra que je te présente quelqu’un que je vais ramener dans mes valises. J’ai adopté…un moineau ! Oui, il est tombé du nid, quasi mort (l’histoire banale) en tout cas blessé. Je l’ai soigné, nourri, et depuis il ne veut plus me quitter. Tu verras il est adorable. Je l’ai appelé Pil-pil.

Grosses bises à toi. A demain

LUDWIG VAN

***

- Ludwig !

- Ah, te voila enfin ! Et je te rappelle que je m’appelle Ludwig VAN…

- … oui, moi aussi je suis contente de te voir…

- Excuse moi…j’ai plus trop l’habitude de parler aux gens… tu m’embrasses pas ?

- Si…Il est où ton moineau ?

- Là, dans la cage…

- Oh, le pauvre dans une cage…tu crois qu’il va s’envoler si tu l’ouvres ?

- Je sais pas…

J’ouvre la cage et, bien sur, à peine est-elle ouverte mon moineau s’envole et disparait derrière un nuage. Merde qu’est ce qu’elle a dans le crâne ? Évidemment qu’un oiseau ça s’envole. Et moi pourquoi j’ai ouvert cette cage ? Quel abruti !

- T’es sur que tu m’en veux pas ? Ca ira ?

- Oui, c’est bon allez on rentre.

Et là, on arrive rue Lang, bondée comme d’habitude et hop, chape de plomb sur mes épaules, tout me revient en mémoire : le mur invisible, le coup de poing, le mec grincheux au parc…exactement comme si je n’étais jamais parti. Un coup d’épée dans l’eau. Je m’affaisse.

- Qu’est ce qui t’arrive ?

- On aurait pas dû passer par là…

- Quoi ? Tu repenses à ce qui c’est passé ?

- Ouais… vite on se magne… je veux rentrer chez moi…

Heureusement, on est arrivés rapidement. Je mets la clé dans la serrure et là, surprise ! Je ne peux pas ouvrir ma porte, enfin presque. Il y a trop de courrier accumulé derrière. Les trois-quarts sont comme d’habitude des pubs ou des invitations bidon, mais il y a tout de même deux ou trois lettres importantes. Des factures et des lettres des parents mais aussi une enveloppe assez bizarre avec écrit en gros « considérablement-personnel » dessus. Je sens une main sur mon épaule, je me retourne…

Mais June est loin, à la cuisine, en train de préparer du chocolat. Non, sur mon épaule ça n’est pas une main mais les petites griffes d’un oiseau. C’est Pil-pil, il est revenu par la porte ouverte. Joie ! Je glisse l’enveloppe bizarre sous ma veste.

- June ! Pil-pil est revenu !

- Viens, j’ai fini le chocolat… Oh, il est trop mignon !

- Tu as mis combien de chocolat ?

- Je sais pas, au pif !

- Y’a un truc avec lequel il faut pas être approximatif, c’est le chocolat…

- Oui, bon, tu le bois ou pas ?

- Mais oui, bien sur…

Deux heures plus tard, enfin seul. Je vais enfin pouvoir regarder la lettre bizarre. Etrangement, je suis super excité. Evidemment il y avait quatre messages des parents sur le répondeur. Au début, ils m’engueulent et après ils s’inquiètent ! Bon, je leur ai téléphoné, tout va bien, je les ai rassurés et on s’est réconciliés (pour l’instant).

Bon, alors, cette lettre. Pas de timbre, pas d’oblitération. Juste mon nom et une inscription en lettres transparentes, très brillantes, très stylisées aussi : LE BLOC. Je me demande si je vais l’ouvrir ou non quand je sens curieusement une odeur de chocolat, mais alors, du meilleur chocolat jamais goûté ! On dirait qu’elle sort de l’enveloppe, me priant de l’ouvrir. Allez, zou, j’ouvre :

« Si vous voulez savoir ce qu’étaient ce mur invisible et ce « coup de poing », faire vivre June et Pil-pil jusqu’à la fin de vos jours, venez au BLOC, à l’extrémité du quartier Ouest, le 20 mai à 19h00. Merci. LE BLOC.»

Le Bloc I, Chapitre 1

Un truc commencé il y a très longtemps, mon projet le plus ambitieux. Et pas mal retravaillé.

Partie 1

LUDWIG VAN

Chapitre 1

Je m’appelle Ludwig Van. En deux mots, avec deux majuscules. Je ne sais pas vraiment d’où il vient ce nom là. Je crois que mes parents l’ont vu sur une vieille affiche de cinéma de mon grand père. Il en faisait la collection, il en avait même des années 1900 ! Ils pensent que c’était l’acteur principal. Longtemps j’ai trouvé ce prénom ridicule alors par défi, par opposition à mes parents, en pleine crise d’adolescence, je me faisais appeler autrement. Aujourd’hui je m’y suis habitué alors à quoi bon en chercher l’origine ? Et puis ça colle avec ma philosophie de la vie.

J’ai à peu près 20 ans. J’ai décidé d’oublier la date de mon anniversaire quand j’ai trouvé mon tout premier cheveu blanc. Alors voilà, je ne sais pas mon âge. Ça non plus ça n’est pas grave. A quoi ça sert aux gens de savoir mon âge ? J’aime bien l’idée d’imposer ma philosophie de l’à peu près. C’est comme ma maison : je l’ai choisie parce qu’elle est au bout d’une rue sans nom, sans numéro. Quand on me demande où j’habite, je dis que c’est à peu près à tel endroit, ils situent juste le quartier.

Ce matin est un grand matin : j’ai un entretien d’embauche ! Je vais essayer d’intégrer une boîte qui fabrique des extincteurs, à l’étage des tests : test sur feu de bois, sur feu d’huile, sur feu de brousse… je ne suis pas très motivé mais bon. Ce qui me fait plaisir c’est que j’aurai un casque, des bottes phosphorescentes…la panoplie complète !

Bon allez, je sors du lit, j’enfile mes charentaises chantilly et p’tit dèj’ ! Comme tous les matins, je me fais un bon chocolat à l’ancienne : carrés de chocolat dans mon bol, lait à bouillir avec une gousse de vanille puis je verse le lait tout chaud sur les carreaux de chocolat ! (Noir extra le chocolat, bien entendu). Je remue pensivement en attendant que tout soit fondu. Qu’est ce que je vais bien pouvoir dire à Monsieur Martin pour lui faire bonne impression ? Ça ne le fera sans doute pas si je lui explique mon culte de l’approximatif… Ah ça y est tout est parfait : mon chocolat velouté à souhait, mes cinq biscottes beurrées et confiturées. Oui, cinq : quatre c’est trop peu je reste sur ma faim et six c’est trop, après j’ai mal au ventre. J’engloutis le tout en prenant bien mon temps ; une demi-heure après je suis sous ma douche : une trombe d’eau brûlante me tombe sur les épaules d’un seul coup. Une délicate odeur d’amande douce envahit l’habitacle pendant que je me frictionne avec mon gant de crin. Je ressors de là rouge comme un cul de bébé. Je m’habille bien aujourd’hui : mon jean moulant aux fesses mais pas ailleurs, une chemise un peu ample en lin. Classe ! J’attache mes cheveux encore humides en catogan (le vélo les séchera) et je pose mon feutre noir par-dessus. Un coup d’œil dans le miroir ? Parfait ! Allez zou, j’y vais.

Deux heures plus tard, je suis de retour chez moi. Comment ça s’est passé ? Ça ne s’est pas passé, j’y suis pas allé. C’est pas que j’ai pas pu c’est que… j’ai pas pu. C’est pas un problème de volonté mais bien d’incapacité. En plus j’ai paumé mon feutre. Et mon vélo. Ne me demandez pas pourquoi, j’en ai vraiment aucune idée. Je vélotais tranquillement vers le quartier Est quand mon vélo a fait une embardée, comme ça, peut être un caillou sur la route, ou une ornière. Mais je suis pourtant sûr que la route était nickel, elle vient d’être refaite. J’en sais rien. Toujours est-il que j’ai fait un beau soleil et que trou noir, plus rien jusqu’à deux heures plus tard et plus de vélo ni chapeau. Je ne me souviens absolument pas de ce qui c’est passé. Evidemment, l’heure de mon rendez-vous était passée, je suis rentré à la maison. Mes parents vont me téléphoner ce soir pour me demander comment ça c’est passé. Qu’est ce que je viens pouvoir leur dire ? Ils vont me prendre pour un fou et tel que je les connais ça va être de ma faute. Tu aurais pu faire attention quand même ! Pourquoi tu es passée par là ? Et cætera… Et puis après, ils vont s’inquiéter. Tu ne te souviens vraiment de rien ? Mais tu n’as mal nulle part ? Puis suspicieux : tu as heurté quoi en fait ? Comment ça tu ne sais pas ? Tu as pris tes cachets ce matin ? Mais non, je ne suis pas fou, je ne suis pas fou !

Bon, quelle heure il est ? Je crois que je vais aller voir June. Elle n’a pas fini de travailler mais j’ai vraiment besoin de la voir. Sans mon vélo, je dois y aller à pied. Waouh ça fait loin. Du coup elle aura fini de bosser, June.

Tiens, je vais reprendre le même chemin, on verra bien si ce qui a causé ma chute est toujours là. Mais alors, prudence, prudence… ah, voila, j’arrive rue Lang. Bien sur, pas de trace de mon vélo ni de mon feutre. Et pas de traces de ma chute, pas de marques des pneus sur la route, rien… je vais tout doucement en regardant au sol pour trouver… quoi que ce soit qui puisse m’avoir fait tomber de mon vélo. J’arrive comme ça au bout de la rue. Je n’ai rien trouvé.

June est vraiment un ange. Elle ne m’a pas pris pour un fou, elle m’a écouté et elle m’a cru.

- Mais alors, t’es pas allé à ton entretien ?

- Non, quand je me suis réveillé c’était trop tard.

- Comment tu le sais tu portes pas de montre…

- J’ai demandé à la première personne que j’ai croisée.

- Tu peux me dire point par point ce que tu as fait depuis que tu es parti de chez toi jusqu’à ce que tu y retournes ?

- Je te l’ai déjà dit !

- Oui mais répète, je veux essayer de comprendre.

- Bon. Alors, j’ai mis mon chapeau, j’ai pris ma clé dans le cendrier, je suis sorti, j’ai fermé à clé. Je suis allé chercher mon vélo au garage…

- T’es sur qu’il était au garage ?

- Mais oui quand même, ça c’est il y a trois heures, je me rappelle ! Bon, après j’ai véloté jusqu’à la rue Lang. Il n’y avait personne, pas un chat. C’est bizarre d’ailleurs, il y a toujours plein de monde à cette heure, non ?

(Elle acquiesce)

- Bon là j’avance tranquille, je sifflais je crois, quand mon vélo cogne dans quelque chose que je ne vois pas, du coup je tombe de mon vélo, tête la première et là trou noir, je me réveille à peu près deux heures plus tard, au même endroit sans mon vélo ni mon chapeau. Voila. Je suis rentré, à pied.

- Ouais… tu es retourné à l’endroit ?

- Oui mais rien, aucune trace, même pas de…sang…

- Tu as saigné ?

- Non… j’ai traversé toute la rue les mains en avant en marchant tout doucement, j’ai cherché le long des trottoirs, tout… rien.

- Bizarre autant qu’étrange en effet… tu as pris tes cachets ?

- Arrête c’est pas drôle, je suis pas fou !

- Je sais mon p’tit loup, je sais… on va chez toi ?

Ses doigts étroitement enlacés dans les miens, nous cheminons vers mon chez moi.

- Tu en as parlé à tes parents ?

- Pas encore, ils vont sans doute m’appeler ce soir… ils vont encore me prendre pour un fou…

- Tu n’es pas obligé de leur dire ce qui s’est passé…

- Ils vont quand même me demander pourquoi j’ai pas été à mon rendez vous…

- Oui, bah t’as qu’à pas leur dire !

- Qu’est ce que tu veux que je fasse ? Je vais pas leur mentir tout de même !

- Tu peux… rester approximatif !

- Hin hin, c’est malin…

Et là, en plein milieu de la rue (bondée cette fois) je m’écroule, cassé en deux. Genre coup de poing dans le ventre. Estomaqué quoi. J’entends June qui crie « Ludwig !» avant se sombrer une seconde fois. Deux fois dans la même journée ça commence à faire beaucoup…

Je me réveille comme une fleur, sous les baisers de June. Au moins une bonne chose dans ma journée. Ah, et je suis dans mon lit. Qu’est ce qui s’est passé ? June se penche sur moi avec un sourire mi inquiet-mi rassuré.

- Ludwig ! Comment tu te sens ?

- Beuh, bah ça va. Je crois. Ouais ça va. Qu’est ce qui s’est passé ?

- Tu ne te rappelles pas ?

- Ben je me rappelle m’être fait frapper dans le ventre et d’avoir perdu connaissance. C’est tout. Je suis resté combien de temps dans les vapes ?

- Une heure, à peu près.

- Qui est ce qui m’a ramené dans mon lit ?

- Un monsieur dans la rue. C’est bizarre il avait pas du tout l’air étonné…

Là, tout de même, tilt…

- Ah bon ? Comment ça ?

- Bah, il t’a vu tomber, il a sourit, il t’a pris sous les bras, moi j’ai pris tes pieds et on est montés chez toi… c’est tout.

- Il ne t’a pas dit son nom j’imagine ?

- Non, et il est parti tout de suite, il n’a même pas voulu un café.

- Ouais, j’ai aucune chance de le retrouver quoi…

-

-

- (moi) Tu veux un chocolat ?

-

- Oui… s’il te plait…

- Ok, c’est parti !

Lait qui bout, chocolat dans les bols, shlurp, shlurp, moustaches de chocolat.



Tuesday 6 October 2009

Eclats

Bon, rien de nouveau, une nouvelle écrite en 2007 pour le concours du Crous encore, thème : Tohu Bohu.

Assis en tailleur au milieu de la salle des pas perdus, j’écoute. J’écoute autour de moi. Le vacarme de la gare. Je m’en imprègne. J’ai fermé les yeux. J’entends tout : la rumeur sourde des conversations, le fracas des chariots poussés par les gens pressés, le doux cliquetis des valises tirées par ceux qui ont le temps, les pas, toutes sortes de pas. Maintenant, je sais les reconnaître. Des talons aiguilles, des mocassins, des gens qui courent, des gens qui se traînent, des enfants qui sautillent et même parfois le caoutchouc d’une canne. De temps en temps, un bruit insolite : un rire cristallin qui s’élève, des sanglots qui éclatent, une chute. Et bien sur, au fond, incessant, le tumulte des trains. Coups de freins stridents, emballement assourdissant des machines, voix monocordes des haut-parleurs. Soudain un déclic dans ma poche gauche m’avertit que la cassette de mon dictaphone est arrivée au bout. J’ouvre les yeux, me lève et sors.

Arrivé chez moi je prends sous l’évier une boîte de mou pour mon chat Kodak, la lui sers dans la cuisine et m’achemine vers mon bureau. Je sors de ma poche mon dictaphone, en extrait la cassette et la pose devant moi, sur le sous-main de cuir lisse. Les sourcils froncés, les mains croisées sur mon ventre, adossé à mon fauteuil profond, je cherche un nom convenable pour cette atmosphère sonore récoltée aujourd’hui. Je ne me contenterai pas d’une "ambiance à la gare" ou d’un petit "salle des pas perdus". Je tourne et retourne la question dans ma tête. Kodak a fini son assiette, il profite de ce que j’ai laissé la porte ouverte pour se faufiler à pas feutrés dans mon bureau et venir se lover amoureusement sur mes genoux. Il se met à ronronner si fort que je sens les vibrations dans mon ventre. Il va falloir que je le mette en boîte ce bruit là aussi. Je l’appellerais "Kodak froufroute" ou alors je ferais venir tous les chats du quartier pour faire un énorme concert de ronronnement ! Ponctué de quelques miaulements, feulements et bruissements ! Je l’appellerais "bacchanale féline". Bon, alors, revenons à la gare de ce matin. Je prends mon dictionnaire des synonymes. Il m’aide souvent. Allons à "bruit". Hou, c’est long ! Cherchons en diagonale : Chahut ? Tapage ? Boucan ? Ramdam ? Ramdam ! On croirait entendre le vrombissement des roues d’acier sur les rails ! Ramdam, c’est parfait. Sans déranger mon chat, je prends un crayon noir et note méticuleusement ce mot sur une étiquette blanche que je colle sur la cassette. Je dépose Kodak tranquillement sur le fauteuil et vais ranger Ramdam à côté de Raffut et de Cacophonie, mes enregistrements d’un incendie et d’une école. Tous mes autres enregistrements sont partis. On me les demande pour la télé, le cinéma, la radio… Surtout la radio, là où la bande-son est plus importante que tout. Pas d’image ! Tout est suggéré par le son. Mes sons à moi sont de première qualité. Aucun enregistrement ne m’a jamais déçu dans le sens où ils sont toujours la retranscription de l’ambiance que j’ai moi-même ressentie. Drrring. Le téléphone. Je décroche :

- Allô ?

- Allô, Emilien ?

- Oui ?

- C’est Valérie. T’en es où niveau bruit ?

- Je viens d’enregistrer Ramdam.

- C’est quoi ?

- Devine !

- Heu…du hard rock ?

- Non.

- Une chute ?

- Non.

- Bon, dis-moi, je sèche.

- La gare, salle des pas perdus, conversations, trains…

- Ahun ! Bon, dis-moi, tu fais quelque chose ce soir ?

- Heu…non.

- On est invités à manger chez Colette. Elle est intéressée par Raffut. Il dure combien de temps ?

- Attends, je regarde […] 24 minutes et 8 secondes.

- Super. Tu peux lui prêter ? Elle en a besoin pour "Racontars" la semaine prochaine, elle invite toute une cohorte de pompiers pour les faire parler des incendies de forêts l’été. Elle veut un incendie pour fond sonore.

- Ouais, bien sur ! Tu passes me prendre ?

- Ok, 19h30 chez toi.

- A toute.

Bon, un dîner. Pourquoi pas ? Je ne sais pas qui sera là. On verra bien. C’est parfait pour briser la monotonie de ma vie de vieux garçon. Enfin, je vais me préparer.

21h30, chez Colette, une petite dizaine de convives autour de la table. Après les sujets de conversations banals, la pluie et le beau temps, la bourse, les chevaux, les tracas de la vie mondaine, on en vient à mes travaux.

- Mais, dis-moi, c’est ton métier de collectionner les bruits ?

- Heu, non. En fait j’ai hérité de mes parents et donc je vis très bien sans avoir à bosser… les bruits, c’est plutôt une passion.

- Bon, et alors, Raffut, tu me le prêtes ?

- Bien sur, je te l’ai apporté.

- C’est quoi Raffut ?

- L’enregistrement d’un incendie.

- Tu as enregistré un incendie ?

- Oui.

- Et tu en as combien des bruits ?

- Heu…beaucoup, environ une centaine.

- T’as fait le grouillement des blattes ?

- Oui.

- Et les gargouillis humains ?

- Hum hum.

- Et la mer ? La plage ? La cuisine ? La circulation ?

- Oui, oui j’ai fait tout ça.

- Wahowh !

- Et le silence ?

-

- Est-ce que tu as fait le silence ?

- Ben, non.

- Je te mets au défi. Enregistre-moi le silence et viens me voir. Je te récompenserai grassement. Mais fais attention, ça n’est pas aussi facile que ça en a l’air.

- Soit, je m’en charge. Prépare déjà la monnaie !

Peuh, un enregistrement du silence ! Rien de plus facile. Je vais lui donner une cassette vierge !

- Et pas de cassette vierge ! De toute façon, si tu écoutes bien une cassette vierge, tu entendras toujours quelque chose quand même, des grésillements, des interférences…

Aïe, ça se complique. Bon au travail. D’abord, trouver un endroit silencieux.

- - Fais attention. Je suis du genre pointilleux. Je m’appelle Amos. Voici ma carte. Dès que tu as l’enregistrement, tu m’appelles. Ça marche ?

- Ok.

Voilà enfin quelque chose que j’aime ! Ça va me rebooster un peu cette affaire ! Au boulot. Par quoi commencer ? Ah oui. Un endroit silencieux…De retour chez moi, j’enferme mon dictaphone dans mon placard garde-manger. Cinq minutes et j’écoute la bande. Ah ah ! Ça a l’air de marcher, on n’entend rien du tout ! Ravi, j’appelle Amos.

- - Allô, Amos ? Emilien ! J’ai réussi.

- T’es sur ? T’as écouté le son à pleine puissance ?

- Heu…ben…non.

- Essaie. Et rappelle-moi si c’est vraiment silencieux.

Bon, pleine puissance. Bah, zut, on entend plein de trucs ! Grésillements, crépitements, grincements… ça doit être les céréales, les boîtes de conserves… A refaire ! Je suis du genre battant. Je descends à la cave. Je m’assois sur le sol de terre battue. Le silence semble parfait. Je ferme les yeux. Petit à petit, mon oreille s’affine. J’entends de plus en plus distinctement le pianotement des rats et des souris, l’humidité du sol, le murmure des pierres. Zut, il faut chercher ailleurs. Je colle le micro de mon appareil contre mon ventre pour empêcher toute perturbation extérieure, et j’enregistre un peu… Non, toujours pas, on distingue à pleine puissance le bruit du sang qui bat les veines, le travail des enzymes qui digèrent…Bon, je suis fatigué pour ce soir, je vais me coucher. Tiens, mon sommeil est-il silencieux ? Je laisse mon dictaphone près de mon lit avant de m’endormir.

Le lendemain, à peine mes yeux décollés, je me jette sur mon dictaphone. Oh la la ! C’est pas du tout silencieux ! On entend vraiment ma respiration, le froissement des draps et même Kodak qui vient fureter autour du lit. Du coup, je vais le garder cet enregistrement. Alors, comment vais-je l’appeler ? Heu… Bon, on verra plus tard. Pour l’instant, je me concentre sur le silence. Le petit matin est plein de bruits : petits oiseaux, ronronnement des premières voitures…

Bon, je vais fouiner. A la campagne, trop d’animaux, de pépiements, de craquements, de souffles… En ville, klaxons, éclats de voix, pétarades, brouhaha…

Je commence à douter. Est-ce qu’il existe ce Silence ? Où vais-je le trouver ?

- Allô, Amos ?

- Emilien ?

- Je sèche. Je n’y arrive pas. Aide-moi.

- Abandonne !

- Jamais !

- Bon, concentre-toi. Tu dois toujours te concentrer au maximum pour percevoir les moindres bruits parasites. Tu verras, ton oreille va s’affiner, tu vas entendre le moindre son à des kilomètres. Continue tes prospections, tu finiras par trouver. Et en plus, tu découvriras des endroits inconnus, dont tu ignorais jusqu’alors l’existence. Allez, salut !

Aaah, il a raccroché ! J’en ai marre. Je ne veux pas abandonner. Mais je n’ai plus d’idées… Que faire ? Ne pas désespérer… Qui pourrait m’aider ? Où aller ? Le Silence… Où trouver le Silence ? Il n’y a pas de montagnes dans le coin… Pas de collines, pas de grandes étendues sauvages… A moins que… Mais oui ! La grotte du Bourdil ! Je ne peux rêver mieux ! Silence, me voilà !

Je suis seul assis au milieu de nul part, à quelques pieds sous terre. Je me suis laissé enfermé dans la grotte. Une fois tous les visiteurs partis, les gardiens envolés, l’endroit paraît magique. Tout m’appartient ! Il fait totalement noir. Je n’entends rien. Mais ma concentration n’est pas maximum. J’arrête de bouger. Je ferme les yeux. Je respire à fond. Je sens chaque partie de mon corps comme une entité distincte des autres. Puis, petit à petit, mon corps se met en veille. Tout fonctionne au ralenti. Tout, sauf mes oreilles. Je peux presque les entendre se concentrer. Ça n’est pas désagréable, on se croirait vivre autrement. C’est grisant d’éveiller un de ses sens, ça fait comme une nouvelle perception du monde alentour. Maintenant, j’entends réellement quelque chose. J’en cherche la provenance. On dirait que ça vient de l’intérieur. De mes oreilles, de mon cerveau, de mon crâne. J’entends de plus en plus fort. Ça siffle. Je me concentre encore plus, de plus en plus attentif. Je suis en osmose parfaite avec moi-même. Le sifflement s’intensifie. Il devient strident, désagréable. Il me vrille les tympans. Je commence à avoir mal. Atrocement. J’ai du feu à l’intérieur, comme un fil incandescent, douloureux et assourdissant qui me traverserait la tête de part en part. C’est insupportable. J’ai mal. Mal. Je vais mourir. Je souffre de plus en plus. Le bruit devient de plus en plus aigu. La douleur m’envahit. Elle parcourt mon corps en vagues lancinantes. J’appuie maladroitement mes paumes sur mes oreilles. Je presse à fond. Je crois que ma tête va exploser. Soudain un plop, une détonation silencieuse, un ultime éclat puis plus rien. La douleur reflue par petites touches. Ma tête est lourde. Exténué, je m’affaisse sur le dos. Ankylosé, mon corps refuse de bouger. Je finis par m’endormir.

Une main me secoue l’épaule. Je me réveille. Un homme avec une veste bleue, une casquette bleue, toutes deux estampillées Bourdil me regarde. Mes yeux s’ouvrent avec difficulté. Je me redresse. Mon corps encore courbatu répond laborieusement. Mais il y a autre chose. Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Quelque chose de nouveau. Je me sens plutôt bien. Subitement, les évènements de la nuit me reviennent en mémoire. Je lève les yeux vers le gardien. Il me parle. Je n’entends rien. Rien du tout. Absolument rien. Même si je tends l’oreille. Ses lèvres bougent mais aucun son ne sort. Je souris béatement. J’ai enfin trouvé le Silence. A jamais.