Saturday 20 February 2010

Le Bloc I, Chapitre 2

Chapitre 2

Evidemment mes parents ont appelé, évidemment on ça s’est passé comme j’avais prévu, évidemment on s’est engueulés. Tant pis. Dans un mois j’aurais plus d’argent alors pour l’instant j’épluche les journaux. Mais je ne trouve vraiment rien, ça commence à m’énerver… Heureusement que June est là, elle essaye de me faire rire :

- On n’a qu’à s’installer ensemble, je t’entretiendrai !

En plus, j’ai vraiment du mal à lire les petites annonces. C’est tout en abrégé ! Je capte rien :

« ch.srv.exp.4h/sm.s’adss6ru Mouftard le Grelot»02419544440 »

« chrch.trnr/frsr.exp.shté.cdi.4bdbalrt.hrs.d.rps. »

Vous y comprenez quelque chose vous ? Hein ? Dites moi que non parce que sinon…ça voudrait dire pas mal de chose… peut-être que je devrais reprendre mes cachets ?

Non, là je recommence à être parano…je vais sortir un peu, je ne suis pas sorti depuis l’autre jour, celui de l’entretien. Ça fait déjà 15 jours ! J’ai pas quitté mon appart, June m’apportait tout ce qu’il me fallait et restait toujours manger avec moi… je crois que j’avais un peu peur…oui, peur que ça se reproduise. Ça m’angoisse tellement d’échapper à des moments de ma vie. C’est comme quand j’étais petit, lors d’une hospitalisation on m’avait fait un anesthésie générale. Brrr, c’est horrible de ne plus se rappeler de rien, un trou noir de quelques heures…ça m’a fait exactement cet effet là l’autre jour… du coup, j’imagine plein de choses, toutes plus atroces les unes que les autres… je veux savoir !

Bon, je sors prudemment et je me pose au milieu du parc St Gravier. Je regarde attentivement autour de moi. Du coup, je prête beaucoup plus d’attention aux gens. La plupart ont l’air indifférent, pressé, urbains quoi…mais il y en a un qui a l’air franchement grincheux, il fait la gueule… il est tout seul sur un banc et il jette rageusement du pain au pigeons. Pourquoi un tel état d’esprit (du moins apparemment) ? Je crois que je vais essayer de lui parler…

- Bonjour monsieur excusez-moi. Je me promène depuis quelques instants et j’ai remarqué que vous avez l’air particulièrement…fâché.

- Et alors ? Qu’est ce que ça peut vous foutre ?

- C’est que j’ai vécu une expérience assez étrange et j’ai dans l’idée que vous pourriez m’aider à comprendre ce qui m’est arrivé…

- Je vois pas en quoi je peux vous aider… mais bon, racontez toujours…

- Ben…je me suis pris un mur invisible en pleine face, je me suis évanoui et réveillé deux heures plus tard…et puis après je me suis pris une espèce de coup de poing dans le ventre…

- Vous êtes un peu fou non ? Vous avez parlé de ça à quelqu’un ? On a dû vous prendre pour un demeuré…

- Mmh, ma copine était avec moi quand le deuxième évènement s’est produit, elle, elle me croit. Expliquez moi au moins pourquoi vous êtes si consterné…

- Mais ça pourrait très bien ne pas vous regarder ! Bon, ça n’est pas le cas alors soit, je vais vous dire… vous ne serez sans doute pas satisfait après mais bon… voila : j’ai acquis la certitude que ni Dieu ni Diable n’existent et que la mort est la fin de tout, le néant total, une absence absolue de quoi que ce soit…et ça me déprime. Voila. Vous êtes content ? Je peux y aller maintenant ?

- Heu…oui, bien sur, je vous remercie…

Mais qu’est ce que ça veut dire ? Acquérir une certitude à propos de Dieu ou Satan ? Comment est-ce possible ? Je n’y comprends rien… je me suis effondré sur un banc, totalement abattu. Rien ne va jamais m’aider à comprendre… Il faut que j’arrête de penser à ce moment là, ça me pourrit l’existence…penser à autre chose, penser à autre chose…tiens, y’a un petit bonhomme qui fait de la trottinette, ça me rappelle que moi aussi j’en avais une, petit, c’est d’ailleurs à cause d’elle que j’ai du subir cette anesthésie générale…non ! Voila que j’y repense encore…ça suffit. Je crois que je vais aller à la bibliothèque pour me trouver un bon gros pavé, ça m’empêchera de cogiter.

J’ai déniché un très très gros pavé : « le Varan » de Pavel Andreïevitch. L’histoire est plaisante et ce que j’adore c’est que je peux vraiment plonger dedans sans plus penser à rien. C’est ce que je fais dès que je rentre chez moi, allongé sur mon lit. Ça se passe en Pologne. C’est drôle, ça donne des envies de voyages. Et après tout, si je partais en vacances ? Pas loin, pas longtemps, juste une petite pause quoi…pourquoi pas ? Mais alors où ? Au soleil, ça c’est sûr.

Allez, je prends un billet de train pour le Sud, je file à la gare… ah et il faut aussi que j’appelle June…elle pourra probablement pas venir…je lui écrirai tous les jours…ça va être bien.

***

14 mai.

Mon ange,

Ça me fait bizarre d’être tout seul sans toi…tu me manques beaucoup. J’espère avoir bientôt des nouvelles de toi.

Ça fait deux jours que je suis arrivé et je sens déjà la différence. Je me pose beaucoup moins de questions et même si j’ai amené mes cachets au cas où, je n’en ai pas pris un seul. Les gens ici ont tous la tête des vacanciers ravis…

Il fait très beau, j’ai bronzé un peu…je me baigne, je paresse sur la plage (j’ai emmené des tonnes de bouquins) et le soir, il y a des soirées organisées. Hier c’était karaoké (j’ai pas trop aimé) et ce soir c’est fête traditionnelle avec feu de camp sur la plage… j’ai hâte d’y être.

Et toi comment vas-tu ? Est-ce que tu penses à moi parfois ? Je ne te remercierais jamais assez de m’avoir prêté de l’argent pour venir ici, dès mon retour je trouve quelque chose, promis…

Je t’embrasse très fort, je pense à toi. A bientôt.

LUDWIG VAN

***

18 mai.

Ô toi,

Voila, je pars demain. Tu viendras me chercher à la gare ? J’espère que oui. J’ai une envie folle de te serrer dans mes bras. Je ne pense plus du tout à ces évènements bizarres (mais tu en parles tu vas me dire…) en tout cas ils ne me hantent plus comme avant…je ne pense qu’à toi. J’ai bien profité de mes vacances mais là, toutes mes pensées se tournent vers toi, j’ai tellement hâte de te voir, te toucher, te sentir…

Ah, et il faudra que je te présente quelqu’un que je vais ramener dans mes valises. J’ai adopté…un moineau ! Oui, il est tombé du nid, quasi mort (l’histoire banale) en tout cas blessé. Je l’ai soigné, nourri, et depuis il ne veut plus me quitter. Tu verras il est adorable. Je l’ai appelé Pil-pil.

Grosses bises à toi. A demain

LUDWIG VAN

***

- Ludwig !

- Ah, te voila enfin ! Et je te rappelle que je m’appelle Ludwig VAN…

- … oui, moi aussi je suis contente de te voir…

- Excuse moi…j’ai plus trop l’habitude de parler aux gens… tu m’embrasses pas ?

- Si…Il est où ton moineau ?

- Là, dans la cage…

- Oh, le pauvre dans une cage…tu crois qu’il va s’envoler si tu l’ouvres ?

- Je sais pas…

J’ouvre la cage et, bien sur, à peine est-elle ouverte mon moineau s’envole et disparait derrière un nuage. Merde qu’est ce qu’elle a dans le crâne ? Évidemment qu’un oiseau ça s’envole. Et moi pourquoi j’ai ouvert cette cage ? Quel abruti !

- T’es sur que tu m’en veux pas ? Ca ira ?

- Oui, c’est bon allez on rentre.

Et là, on arrive rue Lang, bondée comme d’habitude et hop, chape de plomb sur mes épaules, tout me revient en mémoire : le mur invisible, le coup de poing, le mec grincheux au parc…exactement comme si je n’étais jamais parti. Un coup d’épée dans l’eau. Je m’affaisse.

- Qu’est ce qui t’arrive ?

- On aurait pas dû passer par là…

- Quoi ? Tu repenses à ce qui c’est passé ?

- Ouais… vite on se magne… je veux rentrer chez moi…

Heureusement, on est arrivés rapidement. Je mets la clé dans la serrure et là, surprise ! Je ne peux pas ouvrir ma porte, enfin presque. Il y a trop de courrier accumulé derrière. Les trois-quarts sont comme d’habitude des pubs ou des invitations bidon, mais il y a tout de même deux ou trois lettres importantes. Des factures et des lettres des parents mais aussi une enveloppe assez bizarre avec écrit en gros « considérablement-personnel » dessus. Je sens une main sur mon épaule, je me retourne…

Mais June est loin, à la cuisine, en train de préparer du chocolat. Non, sur mon épaule ça n’est pas une main mais les petites griffes d’un oiseau. C’est Pil-pil, il est revenu par la porte ouverte. Joie ! Je glisse l’enveloppe bizarre sous ma veste.

- June ! Pil-pil est revenu !

- Viens, j’ai fini le chocolat… Oh, il est trop mignon !

- Tu as mis combien de chocolat ?

- Je sais pas, au pif !

- Y’a un truc avec lequel il faut pas être approximatif, c’est le chocolat…

- Oui, bon, tu le bois ou pas ?

- Mais oui, bien sur…

Deux heures plus tard, enfin seul. Je vais enfin pouvoir regarder la lettre bizarre. Etrangement, je suis super excité. Evidemment il y avait quatre messages des parents sur le répondeur. Au début, ils m’engueulent et après ils s’inquiètent ! Bon, je leur ai téléphoné, tout va bien, je les ai rassurés et on s’est réconciliés (pour l’instant).

Bon, alors, cette lettre. Pas de timbre, pas d’oblitération. Juste mon nom et une inscription en lettres transparentes, très brillantes, très stylisées aussi : LE BLOC. Je me demande si je vais l’ouvrir ou non quand je sens curieusement une odeur de chocolat, mais alors, du meilleur chocolat jamais goûté ! On dirait qu’elle sort de l’enveloppe, me priant de l’ouvrir. Allez, zou, j’ouvre :

« Si vous voulez savoir ce qu’étaient ce mur invisible et ce « coup de poing », faire vivre June et Pil-pil jusqu’à la fin de vos jours, venez au BLOC, à l’extrémité du quartier Ouest, le 20 mai à 19h00. Merci. LE BLOC.»

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